Catalogue Limay

Depuis une quinzaine d’années, je mets en relation photographie et gravure dans un travail sur le paysage dont l’eau est un élément constitutif. D’abord inspiré par une forêt, située sur d’anciennes carrières souterraines qui ont fragilisé les sous-sols, et provoqué de surprenants effondrements inondés, paysages chaotiques, il s’est ensuite resserré sur des objets plus modestes : flaques d’eau, petits ruisseaux. L’eau silencieuse, stagnante, miroir offert à l’infini, et l’eau murmurante, en flux, qui s’écoule… Puis de petits tourbillons en cours de formation et de dissolution, renvoyant, avec un certain vertige, à d’autres éléments, de l’univers, parfois infiniment petits, parfois infiniment grands.

À la mesure du sentiment de présence au monde ou de désorientation que me procure la perception de ces micros-paysages, je tente parfois de leur conférer une importance, en gravant de grandes planches de métal. Je conjugue alors deux échelles de travail : celle du corps, comme pour plonger dans l’image, et celle du geste de la main, pour préciser d’infimes détails.

Près de ma maison, il y a un ancien lavoir, avec un bassin à ciel-ouvert.
Cet endroit est devenu pour moi une sorte de laboratoire, perceptif et réflexif. 
Je dessine sur la surface de l’eau, je module les ondes, je joue avec les éclats de lumière, les réflexions, et leurs projections vibrantes, à certaines heures du matin, lorsque le soleil est au rendez-vous.
J’associe parfois des figures humaines, ou leurs reflets, ou les projections de leurs reflets qui deviennent alors de sombres silhouettes, prises dans la danse lumineuse et fugitive des dessins de l’eau. Étrange théâtre d’ombres, perte de repères…

Je photographie ces évènements évanescents, comme pour en extraire des instants.
J’en transfère des images sur la surface miroitante du cuivre. Je provoque un jeu de disparitions et réapparitions successives de ces empreintes d’images, en les livrant à la corrosion répétée des bains d’acide, à l’insidieuse « eau forte ».  Elles sont alors à la fois dissoutes et inscrites dans l’épaisseur du métal. Je réincarne ces vestiges d’images avec les gestes et les outils du graveur, créant des aspérités, griffant le cuivre pour accrocher le noir de l’encre, le polissant pour faire advenir la lumière.
Les impressions sur le papier, nouvelles images, sont la mémoire de ces expériences, l’empreinte d’un moment…

CB, juin 2019